dimanche 29 mai 2011

les liaisons dangereuses structure /STRUCTURE DES LIAISONS DANGEREUSES:

STRUCTURE DES LIAISONS DANGEREUSES:

   
Selon le manuscrit des Liaisons dangereuses, Laclos avait choisi une structure binaire pour son roman : la première partie s'étendait jusqu'à la lettre 70, quand Valmont regagne le château de sa tante, à la demande de Mme de Merteuil, après être retourné Paris sur les instances de Mme de Tourvel (cf lettre 44), mais Laclos, pour satisfaire son éditeur a consenti à changer la structure : le roman se divise donc en quatre parties.
            Généralités :
            Les quatre parties occupent quasi le même volume, 110, 115, 110, 120 pages, même si le nombre de lettres des parties II et III est sensiblement moins important, 37 contre 50 et 51  En ce qui concerne la répartition des lettres dans les différentes parties, on peut noter une certaine harmonie : les deux parties centrales, égales en nombre de lettres sont encadrées par deux parties, elles-mêmes égales. En revanche, l'espace temporel est plus inégal : la première partie s'étend sur un mois, du 3 août au 1 septembre, la deuxième sur un peu plus de trois semaines, du 2 septembre au 26 septembre, la troisième sur un mois, du 26 septembre au 25 octobre et la quatrième, de loin la plus longue, sur deux mois et demi  du 29 octobre au 14 janvier. La durée du roman est de quatre mois et demi : de l'été 17** à l'hiver 17** Dans les quatre parties les mêmes lieux sont convoqués : Paris (résidence, Opéra...) et ses environs et le château de Mme de Rosemonde à la campagne.
            Une structure chronologique 
            Conformément au genre épistolaire, les lettres obéissent à une progression chronologique, comme en témoigne la précision des dates, voire des heures ( cf lettre 23, 4 heures du matin) mais pour autant, on constate quelques erreurs de classement, ainsi la lettre 23 est datée du 21 août alors que la lettre 24 est datée du 20 août ; de même, la lettre 28 est datée du 23 août alors que la lettre 29 est datée du 21 août. Par ailleurs, suite chronologique oblige, les réponses aux lettres, quand elles ne sont pas volontairement différées par l'épistolier, comme c'est le cas de la lettre 127 du 31 octobre, réponse de Mme de Merteuil à la lettre 115 de Valmont datée du 19 octobre ("Si je n'ai pas répondu à votre Lettre du 19, ce n'est pas parce que je n'en ai pas eu le temps..")   ne suivent  pas forcément la lettre initiale, comme c'est le cas avec la lettre 34, réponse de Valmont à la lettre 33 de Mme de Merteuil,  car d'autres épistoliers ont écrit le même jour : par exemple, la lettre 4, réponse de Valmont à lettre 2 de Mme de Merteuil écrite le 4 août, est précédée par la lettre de Cécile à Sophie du 4 août.
       
La succession de certaines lettres est parfois précisée : ainsi la lettre 23 de Valmont à Mme de Merteuil annonce la lettre 24, écrite à Mme de Tourvel, ou bien la lettre 29 de Cécile à Sophie annonce la lettre 30 écrite à Danceny.
       
Parfois le hasard fait que deux épistoliers s'écrivent le même jour et que les lettres se suivent, comme par exemple les lettres 20 et 21, de Mme de Merteuil à Valmont et de Valmont à Mme de Merteuil, mais pour autant la lettre 21 n'est pas la réponse à la lettre 20, ces deux lettres se sont croisées.
   
      Par ailleurs, on constate que  le même jour plusieurs épistoliers écrivent  : ainsi le 20 août, Cécile, Mme de Merteuil, Valmont, Mme de Tourvel, écrivent ; de plus, un même épistolier écrit plusieurs lettres à des destinataires différents : ainsi, Valmont écrit à Mme de Merteuil et à Mme de Tourvel le 20 août ( lettres 21 et  24) ; Cécile écrit à Sophie et à Danceny le 21 août ( lettres 29 et 30).
        Autre situation, deux épistoliers écrivent le même jour à un même destinataire pour rapporter le même événement : c'est le cas de Mme de Merteuil qui reçoit deux lettres datées du 1octobre, l'une de Valmont, l'autre de Cécile, qui ont pour objet la première nuit d'amour de Cécile : si les événements sont identiques, les points de vue diffèrent : Valmont raconte sa stratégie pour faire céder Cécile, en insistant sur la différence entre le baiser reçu et le baiser donné , Cécile précise qu'elle n'a pas pu se défendre, qu'il est impossible de résister à Valmont et surtout qu'elle a succombée au trouble que lui a procuré ce baiser. Mais si rien ne diffère dans le récit des événements, ou la lettre est amputée du récit de ces évènements, comme le précise la note au début de la lettre 75, écrite par Cécile à Sophie et "qui rend compte avec le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les évènements que le lecteur a vus à la fin de la première partie" ou la deuxième lettre est tout simplement supprimée : par exemple à la fin de la lettre 61 dans laquelle Mme de Merteuil raconte comment et pourquoi elle a dénoncé la correspondance de Danceny et de Cécile à Mme de Volanges, une note de l'éditeur fictif précise : " On a supprimé la lettre de Cécile à la Marquise, parce qu'elle contenait les mêmes faits que la lettre précédente mais avec moins de détails."
        Enfin, deux épistoliers différents, le même jour s'adressent à des destinataires différents pour rendre compte du même événement, comme on peut le constater avec les lettres 21 et 22. En effet, dans la lettre 21, Valmont raconte à Mme de Merteuil son acte de générosité envers les pauvres paysans qui devaient être expulsés, il explique en quoi cet acte est une stratégie pour séduire Mme de Tourvel ; dans la lettre 22, Mme de Tourvel raconte ce même événement à Mme de Volanges pour lui démontrer que Valmont n'est pas le monstre qu'elle lui a décrit, au contraire, c'est un modèle de vertu. Ainsi la recherche de pauvres à secourir, pour servir la cause de Valmont devient "le projet de faire le bien" = "la sollicitude de la bienveillance" = "la plus belle vertu des plus belles âmes" : confirmation de la réussite de l'effet attendu par Valmont. Même constatation avec le récit que Mme de Merteuil fait à Valmont de son aventure avec Prévan, présentée comme la victoire de sa stratégie et la preuve de sa supériorité et de celui qu'elle fait à Mme de Volanges, présenté comme l'outrage à une femme vertueuse.
           La progression chronologique ne signifie pas pour autant que les lettres sont simplement juxtaposées, elles s'organisent autour des différentes intrigues. Par exemple, nous avons remarqué précédemment que la lettre 21 n'était pas la réponse à la lettre 20, et d'ailleurs, aucune des lettres suivantes de Valmont ne fait référence au contenu de la lettre 20 de la Marquise : c'est que Valmont, tout occupé à tenter de séduire Mme de Tourvel, fait le compte rendu de ses lettres de ses avancements : ainsi : lettre 21 commence ainsi : "Enfin, ma belle amie, j'ai fait un pas en avant [...] J'ai enfin déclaré mon amour" , la lettre 23 est la suite de la lettre 21 : " Nous en sommes restés au retour au château : je reprends mon récit.", la lettre 25, est la suite de la lettre 23 : "Voici le bulletin d'hier" . Ainsi ces trois lettres racontent très précisément les détails de la progression de la relation Valmont / Mme de Tourvel. De même les lettres 17, 19, 28, 30,31, nous permettent de suivre le début de la relation amoureuse entre Danceny et Cécile. Ainsi la succession permet-elle de suivre l'évolution des différentes intrigues.
        Le rythme d'échange des lettres : il est très rapide au début. Dans la première partie, rares sont les jours où n'est écrite aucune lettre : les  3, 4, 5, 7, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 août, un ou plusieurs épistoliers écrivent. La fréquence des lettres s'explique par la mise en place du réseau épistolaire et des différentes intrigues. Dans les parties II et III, le rythme est tout aussi rapide En revanche, au fur et à mesure que les passions s'affaiblissent et que certains personnages disparaissent de la sphère épistolaire, telle Sophie qui est remplacée par Mme de Merteuil ( la dernière lettre à Sophie est la lettre 75), ou encore Valmont et Mme de Tourvel (morts tous deux), le rythme des échanges est plus lent, particulièrement dans la quatrième partie : 50 lettres en deux mois et demi, contre 37 lettres en trois semaines dans la deuxième partie ; de plus les lettres sont de plus en plus espacées:  par exemple, les trois dernières lettres sont respectivement datées du 18, du 26 décembre et du 14 janvier.
           
            La progression des intrigues dans les différentes parties :

            La première partie met en place les intrigues principales et présente les principaux protagonistes/
            Intrigue N°1 : Cécile doit épouser le comte de Gercourt
            Intrigue N°2, conséquence de la première : Mme de Merteuil veut se venger de Gercourt et se donne pour projet de lui faire épouser une Cécile très expérimentée.
            Intrigue N°3 : Valmont part à la conquête de la prude et fidèle Mme de Tourvel, intrigue qui contrarie Mme de Merteuil car Valmont est indisponible et refuse de s'occuper de Cécile
            Intrigue N°4, conséquence, indirecte de la précédente ( tout laisse à penser que Mme de Merteuil n'aurait pas encouragé la liaison entre les deux jeunes gens si Valmont avait accepté de devenir l'amant de Cécile), la relation Danceny / Cécile.
            Coup de théâtre, lettre 44 : Valmont découvre que c'est Mme de Volanges qui nuit à sa relation avec Mme de Tourvel, dés lors il décide de se venger et de séduire Cécile : il rejoint le projet initialement prévu par Mme de Merteuil.
            Ces différentes intrigues vont générer les relations épistolaires :
            Intrigue 1 et 4 : Cécile écrit à Sophie, son amie du couvent, pour lui raconter les charmes de sa nouvelle vie, lui confier ses interrogations quant à son futur mariage,  ses premiers émois, sa relation avec Danceny. Cécile et Danceny correspondent mais aussi Mme de Merteuil et Cécile. ( la marquise entend bien s'occuper de l'éducation de l'ingénue)
            Intrigue 2 et 3 : Valmont et Mme de Merteuil s'entretiennent sur la projet de vengeance et sur la progression de la tentative de séduction de Mme de Tourvel
            intrigue 4 : correspondance entre Valmont et Mme de Tourvel mais aussi entre Mme de Tourvel et Mme de Volanges, pour mettre en garde son amie contre le libertin Valmont.
                A la fin de la première partie, tout est en place, comme dans une scène d'exposition au théâtre : deux intrigues amoureuses, contrariées. Celle de Cécile / Danceny, par le projet de mariage orchestré par Mme de Volanges ; celle de Valmont / Mme de Tourvel, par Mme de Tourvel elle-même, au nom de la fidélité conjugale et de la religion. Valmont a dû regagner Paris malgré lui (le 29 août au matin) : son projet avance peu.
                Bien plus on peut parler de rupture : Cécile refuse de poursuivre toute correspondance avec Danceny : parce que Mme de Merteuil lui a expliqué qu'elle ne devrait aimer que son mari, et parce qu'elle croit qu'en qualité de chevalier de Malte, Danceny est engagé par des voeux religieux, ce qui rend leur relation coupable aux yeux de la religion, et comme nous l'apprendront au début de la deuxième partie, parce qu'elle a tout avoué à son confesseur ; Valmont, qui avait obtenu l'autorisation d'écrire à Mme de Tourvel, à condition que ses lettres n'offensent pas la décence de l'amitié, est sur le point de se la voir retirer à cause de la lettre d'amour qu'il lui a écrite, en compagnie d'Émilie.

            La deuxième partie : Mme de Merteuil au coeur de l'action :
            Mme de Merteuil domine toute la deuxième partie
            A : en mettant tout en oeuvre pour activer sa vengeance envers Gercourt. En effet, considérant que Danceny est un piètre amant et que sa relation avec Cécile progresse trop lentement, elle déborde d'ingéniosité :
            1 : elle dénonce la relation épistolaire entre Danceny et Cécile : Danceny est remercié de ses services, Cécile est sous haute surveillance ; ils ne peuvent ni se voir ni s'écrire.
            2 : elle insiste auprès de Valmont pour qu'il devienne le confident de Danceny, pour le guider dans sa relation avec Cécile.
            3 : elle demande à Mme de Volanges de renoncer à mettre sa fille au couvent et lui propose un éloignement salutaire, chez Mme de Rosemonde.
            4 : Valmont partira lui aussi chez sa tante : il sera dés lors l'intermédiaire entre Danceny et Cécile mais aussi elle favorise le rapprochement de Valmont et de Mme de Tourvel : son projet de vengeance croise et sert le projet de séduction de Valmont.
            B : elle se livre en toute sincérité dans la lettre 81, en nous livrant son autoportrait, elle nous explique qui elle est, comment elle y est parvenu et pourquoi.
            C : elle est au centre d'une intrigue que l'on pourrait considérer comme mineure, mais qui illustre l'autoportrait qu'elle nous donne dans la lettre 81 : cette femme libre, indépendante, qui s'est donnée pour mission de "venger son sexe et de maîtriser" les hommes, démontre avec l'affaire Prévan, qu'elle est supérieure aux autres et qu'elle maîtrise parfaitement l'art de sauver son apparence.
            En revanche, les deux intrigues amoureuses mises en place dans la première partie avancent peu : Cécile et Danceny ont certes repris leur relation épistolaire mais ils n'ont pas pu encore se rencontrer. Quant à Mme de Tourvel, très contrariée par le retour de Valmont, elle se montre de plus en plus distante et Valmont ne parvient même pas à obtenir un entretien.

            La troisième partie : une nette progression dramatique
           Les intrigues mises en place dans la première partie évoluent :
            Intrigue N° 1 : le mariage de Cécile avec Gercourt est reporté à l'hiver : il accompagne pour deux mois son cousin en Italie, et profite de ses derniers moments de célibataire. Par ailleurs ce mariage a failli être compromis : Mme de Volanges, s'étant méprise sur le chagrin de sa fille et croyant qu'il était dû à l'absence de Danceny, considère qu'un mariage d'amour vaut mieux qu'un mariage de raison, mais Mme de Merteuil intervient et persuade Mme de Volanges de ne rien changer au projet initial, car son projet de vengeance serait réduit à néant.
            Intrigue N°2 : en séduisant Cécile, Valmont assure la vengeance de Gercourt et celle de Mme de Volanges. Vengeance qui va au  delà de toute espérance puisque Cécile est consentante, bonne élève et elle est enceinte.
            Intrigue N°4 : Danceny est le grand perdant dans cette affaire puisque Cécile se donne à Valmont et refuse de se donner à Danceny : tout espoir de rencontre à la campagne est vain, Cécile se satisfait de sa relation avec Valmont. La relation entre Cécile et Danceny se résume à des serments épistolaires et à des querelles d'amoureux pour savoir qui est le plus amoureux de l'autre.
            Intrigue N° 3 : la liaison Valmont / Tourvel progresse indubitablement : Mme de Tourvel a avoué son amour à Valmont, elle n'a plus la force de lui résister mais contre toute attente, c'est Valmont qui retarde, par respect, le moment de la reddition. Elle fuit la campagne, consciente que ses devoirs et sa vertu sont en danger. Mais Valmont endosse le costume d'un nouveau Tartuffe, feint le repentir et le désir de racheter les fautes de son passé, il réussit à obtenir,par le biais du confesseur de Mme de Tourvel, un rendez-vous pour le jeudi 28 octobre. La partie se clôt sur une lettre de Mme de Tourvel à Mme de Rosemonde, en date du 25 octobre, lettre dans laquelle elle se réjouit de la conversion de Valmont et le regret de devoir renoncer à son amour.
            Une nouvelle intrigue est annoncée : la relation Mme de Merteuil / Danceny, et si pour Danceny elle n'est qu'une amie, mais ô combien adorable, Mme de Merteuil a choisi d'en faire son amant, comme elle le confie à Valmont : c'est la fin de sa liaison avec Belleroche, liaison qui dure depuis le début du roman.
            Mais ce qui est le plus important peut-être, c'est la dégradation de la relation Merteuil /Valmont : En effet, leur amitié est mise à mal, le ton est plus au persiflage qu'à la tendre amitié et les deux compères se rendent coup pour coup. Mme de Merteuil ridiculise Valmont pour avoir laissé échapper Mme de Tourvel sur le point de se rendre ; Valmont se moque de la Marquise de vouloir jouer les initiatrices avec Danceny. Ils ne se comprennent plus, bien plus, ils pensent différemment : c'en est fini de leur harmonie et de leur complicité. Valmont va même jusqu'à ne peut plus obtempérer aux ordres de Mme de Merteuil ( il refuse de rentrer à Paris sous prétexte que sa réputation est en danger) et à lui retirer sa confiance : il passe sous silence ses avancées avec Mme de Tourvel.

    La quatrième partie : un dénouement sans appel :
    Les événements se précipitent dans cette dernière partie et s'enchaînent avec une logique implacable :
    Toute cette partie est dominée par la dégradation de la relation Mme de Merteuil / Valmont. En effet, tout ce qui se passe, le dénouement des différentes intrigues, ne sont que la conséquence de la relation conflictuelle entre Mme de Merteuil et Valmont. En effet, entre les deux libertins s'instaurent une agressivité qui ne cesse de s'enflammer, d'abord parce que Mme de Merteuil ne veut pas s'acquitter de sa dette ( offrir une nuit d'amour à Valmont dés lors qu'il il réussi à conquérir Mme de Tourvel), puis autour de la question : Valmont est-il ou non amoureux  de Mme de Tourvel. A chaque démenti, Mme de Merteuil demande des preuves de plus en plus importantes et Valmont lui sacrifie sa maîtresse. De plus, humilié de lui voir préférer Danceny, Valmont se venge de Mme de Merteuil : Danceny l'abandonne au profit de Cécile. Vengeance pour vengeance, Mme de Merteuil révèle la liaison Valmont Cécile / Valmont : conséquence tragique : le duel, la mort de Valmont : conséquence, Valmont avant de mourir confie les lettres de Mme de Merteuil, c'est la révélation publique de son machiavélisme, la prude est démasquée, c'est la chute de Mme de Merteuil.
    Bilan des intrigues mises en place dans la première partie :
    Intrigue N° 1 : le mariage avec Gercourt est annulé, Cécile rentre au couvent pour devenir religieuse
    Intrigue N°2 : a été consommé dans la troisième partie, il n'en est plus question, il n'en reste plus de traces, Cécile a fait une fausse couche.
    Intrigue N°3 : la quatrième partie s'ouvre sur le triomphe de Valmont : Mme de Tourvel a cédé. Mais le bonheur est bref (du 28 octobre au 27 novembre). Mme de Tourvel surprend Valmont avec Émilie, c'est la rupture, mais c'est sans compter sur les ressources de Valmont, et très vite le couple se réconcilie. Mais la jalousie de Mme de Merteuil est telle qu'elle exige de Valmont qu'il rompe avec sa maîtresse, il s'exécute, c'est la rupture définitive : Mme de Tourvel se retire au couvent (lettre 143, du 27 novembre) et y meure quelques jours plus tard, le 8 décembre.
    Intrigue N°4 : Danceny, après s'être égaré quelques jours dans les bras de Mme de Merteuil, revoit enfin Cécile, mais Mme de Merteuil, pour se venger de Valmont révèle à Danceny la liaison Valmont / Cécile : c'est la fin d'un bonheur à peine ébauché. Après avoir tué Valmont en duel, il renonce à Cécile et au monde, décide de rejoindre Malte pour y prononcer ses voeux.

    On peut constater que le rôle de Mme de Merteuil est de plus en plus important et de plus en déterminant. La progression du roman rend compte de son emprise sur tous les personnages et si Valmont semble résister dans la première partie en refusant de coopérer à son projet de vengeance à l'égard de Gercourt, force est de constater que, comme tous les autres personnages, il est le jouet de ses caprices et de ses stratégies.

    Un roman théâtral :
    Si l'on considère que Mme de Merteuil est de ce fait le personnage principal, si l'on considère que son désir de vengeance est l'intrigue principale, on peut lire ce roman comme une tragédie en quatre actes
    acte I : exposition
, présentation des protagonistes, mise en place de l'intrigue principale  et de l' intrigue secondaire (relation Danceny / Cécile) au service de la première, mais la relation de Valmont avec Mme de Tourvel est un obstacle à la réalisation de la première, obstacle levé à la fin du premier acte puisque Valmont veut se venger de Mme de Tourvel et décide donc de s'occuper de la virginité de Cécile.
    acte II, Mme de Merteuil noue les fils de son intrigue
et elle est même actrice d'une pièce secondaire, l'affaire Prévan pouvant être considérée comme du théâtre dans le théâtre
    acte III, dénouement de l'intrigue principale
: Mme de Merteuil et Valmont sont vengés. Mais rebondissement ( que l'on pourrait considérer comme le cinquième acte d'une tragédie classique) la liaison Valmont / Mme de Tourvel trouve un dénouement heureux, ce qui est pour Mme de Merteuil un coup de théâtre malencontreux ;
    acte IV, c'est le moment de la crise : le règlement de comptes entre les deux anciens complices :Mme de Merteuil, en proie à la jalousie va mettre un terme à l'amitié Valmont / Danceny  et par conséquent à la liaison Cécile /Danceny et  ; Valmont met un terme à la liaison Merteuil / Danceny ; la perfidie de Valmont est dévoilée par Mme de Merteuil ; celle de Mme de Merteuil par Valmont : c'est la chute des deux libertins, l'un meurt mais reçoit l'indulgence des autres personnages, l'autre subit l'outrage publique.
    Par ailleurs, la récurrence de la métaphore théâtrale, corrobore cette approche du roman du Laclos. En effet Valmont et Mme de Merteuil parlent d'eux mêmes comme des acteurs : Valmont demande "les réclames de [son] rôle" (lettre 59) ; Mme de Merteuil joue le "rôle d'ange consolateur" auprès de Mme de Volanges (lettre 63), elle laisse le soin à Valmont de de juger "de réunir les acteur" (= Danceny et Cécile, lettre 63) ; elle a dû "joindre à l'esprit d'un Auteur, le talent d'un comédien" (lettre 81) ; Valmont parle de son aventure avec Mme de Tourvel comme d'une pièce de théâtre : "Qu'a-t-on de plus au théâtre ? Des spectateurs" et il reproche à Mme de Merteuil de dédaigner la lenteur du rythme de son entreprise de séduction, alors qu'elle l'apprécie au théâtre : " Eh ! Quoi ! Ce même spectacle qui fait courir au théâtre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la réalité ?" (lettre 99) D'ailleurs, la scène de reddition de Mme de Tourvel est théâtralisée : le choix du décor = "le théâtre de [sa] victoire", les répliques courtes, le ton, ( "ton le plus tendre", "ton de reproche", "ton dramatique", ton de terreur", "ton sinistre", "la voix oppressée"), la gestuelle ("me levant", " me précipitant à ses genoux"...) (lettre 125) ; Merteuil reproche à Danceny de la délaisser : " Quand l'Héroïne est en scène, on délaisse la Confidente" (lettre 145)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro - LE MARIAGE DE FIGARO Acte I, scène 1

LE MARIAGE DE FIGARO
Acte I, scène 1


Introduction
    Trois années ont passé depuis que le Comte Almaviva a épousé Rosine, devenue depuis la Comtesse. Figaro, le barbier de Séville, a beaucoup aidé le Comte à réaliser son mariage. Aujourd'hui Figaro à son tour doit donc se marier ce jour même avec Suzanne, la camariste (femme de chambre et confidente de la Comtesse). Figaro est en train de mesurer la chambre que le Comte lui a donné ainsi qu'à sa future épouse.
Lecture
Annonce du plan
Etude :
I) Scène d'exposition: le décor
a) Différence entre Molière et Beaumarchais, qui donne de très nombreuses didascalies qui détaillent le décor >> cela montre le goût pour le spectacle visuel au XVIII ème siècle. On a dit pour cela que Beaumarchais était le créateur de la mise en scène écrite. L'unité de lieu n'est pas respectée; mais TOUT se passe à Aguas Frescas, près de Séville.
b) Dans ce lieu d'ensemble >> plusieurs décors:
Là, on se trouve dans la chambre nuptiale de Suzanne et Figaro, c'est pour cela qu'elle n'est pratiquement pas meublée.
La chambre mesure environ 50m2, soit l'équivalent d'une scène de théâtre. On y trouve un fauteuil (qui servira de cachette à Chérubin et au comte > cette chambre est un lieu de passage: tout le monde va s'y retrouver). On remarque que le lit est absent > il est le symbole du mariage à venir, lieu du désir, de l'amour. On trouve un miroir où Suzanne se mire >> elle est coquette. Elle place ce bouquet de fleur d'oranger sur sa tête, symbole de chasteté et de mariage.
c) Le décor n'est pas décoratif, mais symbolique.
TOUT est essentiel.
La chambre se trouve entre les 2 appartements de la comtesse et du comte.
Le fait que la chambre soit située là souligne la séparation amoureuse du comte et de la comtesse, même si à l'époque c'était une question de confort de faire chambre à part. Ce lieu leur a été accordé par leurs maîtres >> marque de la dépendance des futurs mariés vis à vis de leurs maîtres. Cette chambre n'est donc pas si intime que ça (on y entend la sonnette).
Non seulement Suzanne et Figaro sont logés d'office mais en plus ils sont meublés, et Figaro n'en est pas mécontent > utilisation d'un vocabulaire positif. Figaro n'est finalement pas si révolutionnaire que ça: il est content de la chambre > il accepte la dépendance, il ne remet pas en cause l'ordre social maître/valet.
Pour Figaro, tout est positif dans cette chambre, mais pour Suzanne, c'est le contraire: elle y voit un piège. Dans la didascalie du départ, Beaumarchais utilise le mot "démeublée", qui est dépréciatif.
Ils sont confortablement installés (le fauteuil est un fauteuil pour malade, il est donc confortable). Ce qui manque cependant est le luxe >> c'est ce qui va marquer la différence entre la chambre des valets et celle des maîtres (cf. la comtesse dans l'acte II)
On note que le décor est très important et symbolique >> Figaro l'accepte, Suzanne y voit un danger.


II) Les bases de l'intrigue; présentation des personnages essentiels:
a) Dès le début, nous savons que nous sommes au matin des Noces.
Habituellement, le mariage TERMINE la pièce et n'est pas au centre de l'action. Ici la pièce commence sur le mariage, qui sera même le centre de l'action >> nouvelle forme d'aborder le texte.
De plus c'est le mariage des valets et non des maîtres comme dans les comédies "classiques".
Il y a cependant un obstacle: le comte a des vues sur Suzanne >> présentation d'Almaviva, grand seigneur qui s'ennuie.
On découvre aussi Bazile, le maître à musique de la comtesse, le maître à chanter de Suzanne et l'entremetteur du comte.
Le comte a donné une dot à Suzanne, que Figaro avait considérée comme un cadeau pour lui. Suzanne lui fait comprendre qu'en faisant cela le comte achète ses faveurs: il veut rétablir le vieux droit de cuissage. Ca n'est pas un obstacle au mariage mais un obstacle au bonheur.
A la fin, présentation de la comtesse, délaissée par son mari. On entrevoit là que Figaro et Suzanne vont lutter ensembles et que de l'autre côté le comte et Bazile seront alliés. Visiblement, la comtesse se rangera du côté des valets.
b) Les références au Barbier de Séville
Tous les personnages appartiennent au Barbier de Séville sauf Suzanne. Bazile est toujours l'acheté, celui qui vient détruire le bonheur des autres. On sait que Bazile déteste Figaro. L'action se passe 3 ans après >> les personnages ont évolué. Almaviva n'est plus autant amoureux de Rosine. En réalité, le comte s'ennuie et a besoin de désir > à présent Rosine lui est accessible, il ne la désire plus >> c'est un homme du XVIIIème.
La comtesse aussi a évolué (elle a environ 22 ans). Elle est délaissée, meurtrie déjà par la vie. Au moment où un mariage se fait, un autre se défait > c'est le caractère mélancolique de la pièce.

c) Portée sociale de l'intrigue
Ici, on assiste à mise en valeur de la toute puissance tyrannique d'un seigneur féodal. Il a envie de rétablir un droit féodal honteux >> révolte des valets, et surtout de Suzanne au début; Figaro se révèle ensuite.
En conquérant Suzanne, le comte montre sa toute- puissance; cela soulève le problème de l'asservissement des femmes. Suzanne se révolte devant la condition féminine et devant les Grands >> c'est pour cela qu'elle considère la chambre comme un piège.


III) Suzanne et Figaro
a) Leur amour
Il s'exprime à travers la gaieté et la joie de vivre > "Fi - F i- Figaro" >> c'est un amour qui se chante, qui se danse. Il y a tout un jeu autour du baiser à la fin de la scène, un badinage amoureux entre ces 2 personnage qui s'aiment follement.
Noms tendres échangés >> côté naturel de cet amour. "Belle fille " >> Suzanne n'est pas mariée, il complimente sa chasteté. Suzanne est franche et honnête; elle est coquette, mais n'est pas compliquée.

b) Figaro ne mène pas le jeu ici, c'est Suzanne
Suzanne lui reproche de n'avoir rien vu, cela crée un moment de tension. Figaro est piégé par le comte et mené par Suzanne.
Au début, Suzanne ne dit rien: elle a honte. Figaro ne comprend pas; il est un peu machiste, et Suzanne en est vexée. "Es-tu mon serviteur?" > pique amoureuse = "M'es-tu dévoué?". C'est là que Figaro va développer les arguments pour la chambre, et c'est devant cette naïveté que Suzanne va parler. On remarque que c'est toujours Suzanne qui fait redémarrer la scène. Comme Figaro ne semble pas vouloir se réveiller, Suzanne lui remet les idées au clair. Il aura mis toute la scène à se révéler. On ne retrouve dans cette scène le Figaro du Barbier; ici c'est un arrivé.
Ces amoureux heureux sont devenus complices face au comte.


IV) Le Comique:
Très important dans cette scène car il va nous donner la tonalité de la pièce.
a) La gestuelle et les gestes.
A l'origine le comique de geste est un vieux procédé du comique de farce (> Quand Figaro a envie de battre Bazile, il mime ses gestes).
Ici, le comique est surtout dû à la souplesse des gestes de Figaro; on pense à Arlequin de la Comedia del Arte, issue du théâtre latin. Au début de la scène, Figaro mesure la chambre. A la fin, il court après Suzanne >> Figaro est toujours en mouvement; il est très présent physiquement. Derrière ce personnage on peut déceler la vitalité de Beaumarchais, qui a l'audace d'avoir choisit un valet comme héros de sa pièce.
Figaro ne mène le jeu pas seulement par l'intrigue mais par le jeu scénique. On rit avec Figaro, on ne rit pas de lui.
b) Le comique d'intrigue.
On devine d'emblée que la pièce va être riche de ce côté-là. Figaro dit qu'il va devoir créer une intrigue d'où il va devoir sortir vainqueur. Nous n'avons cependant pas toute l'intrigue: il nous manque Marceline; quand on parle de l'aspect dramatique d'une pièce, on parle de l'action.
Ici, on aura une pièce dramatique.
c) Le jeu verbal.
Beaumarchais use d'un procédé: l'économie du langage, qui dit le strict minimum >> vivacité du dialogue, on fait appel à l'intelligence du spectateur pour deviner le reste. >> pendant tout le temps où Suzanne refuse de parler, on assiste à une >>joute verbale >> utilisation de sous-entendus
Le fait que Suzanne reprenne les mots de Figaro donne un aspect comique. Nouvel aspect révolutionnaire de la pièce: les valets ont de l'esprit, ils parlent très bien.
d) La gaieté.
Les personnages sont toujours gais, même quand ils prennent conscience d'un piège douloureux, ils rient. Tout s'arrangera dans la gaieté par d'heureux hasards.

Conclusion
    Comme toute première scène, celle-ci nous donne tous les renseignements nécessaires pour comprendre cette pièce compliquée. Elle pose tous les grands thèmes et elle nous donne aussi la tonalité de la pièce: tout est gai malgré tout.

Extrait du commentaire :

Les acteurs sont nombreux sur scène à assister à la déconfiture du comte, que Figaro provoque avec le soutien de la foule et de la gente féminine. Le comte, qui est sous le charme de Suzanne, est obligé de renoncer publiquement au droit antique de cuissage qu’il prétendait encore exercer sur elle. Toute l’habileté de Figaro (et de son créateur, Beaumarchais !) tient à sa capacité d’atteindre son but, préserver Suzanne des visées du comte, sans entrer en conflit direct avec lui. Il s’arrange avec les règles de bienséance et arrive à ses fins en finesse.

Dans la scène huit, le comte a avoué à Suzanne la tentation qu’elle représente pour lui, et lui réclame un rendez-vous galant. L’irruption de Basile, le maître de musique, force le Comte à  couper court, il se jette vite derrière un fauteuil, où se trouve déjà le jeune Chérubin, qu’il a banni peu avant pour l’avoir découvert avec la fille du jardinier, Fanchette. Lorsque le comte révèle à tous sa présence, c’est l’heure des explications. Le comte est furieux contre ses sujets et commence par s’opposer au mariage de Suzanne avec Figaro. Il apparaît clairement comme fourbe, libertin, abusant de son pouvoir aux yeux des spectateurs.

La scène 10 s’ouvre avec l’arrivée de Figaro, suivi de la comtesse, de Fanchette, et d’une foule de servants vêtus de blanc. Figaro va tenter le tout pour le tout pour pousser le comte à renoncer à ses vues sur son aimée...
Texte étudié :
CHÉRUBIN, SUZANNE, FIGARO, LA COMTESSE, LE COMTE, FANCHETTE, BAZILE ; beaucoup de valets, paysannes, paysans vêtus de blanc.

FIGARO, tenant une toque de femme, garnie de plumes blanches et de rubans blancs, parle à la Comtesse : Il n'y a que vous, Madame, qui puissiez nous obtenir cette faveur.
LA COMTESSE : Vous les voyez, Monsieur le Comte, ils me supposent un crédit que je n'ai point : mais comme leur demande n'est pas déraisonnable...
LE COMTE, embarrassé : Il faudrait qu'elle le fût beaucoup...
FIGARO, bas à Suzanne : Soutiens bien mes efforts.
SUZANNE, bas à Figaro : Qui ne mèneront à rien.
FIGARO, bas : Va toujours.
LE COMTE, à Figaro : Que voulez-vous ?
FIGARO : Monseigneur, vos vassaux, touchés de l'abolition d'un certain droit fâcheux, que votre amour pour Madame...
LE COMTE : Eh bien, ce droit n'existe plus, que veux-tu dire ?
FIGARO, malignement : Qu'il est bien temps que la vertu d'un si bon maître éclate ; elle m'est d'un tel avantage, aujourd'hui, que je désire être le premier à la célébrer à mes noces.
LE COMTE, plus embarrassé : Tu te moques, ami l'abolition d'un droit honteux n'est que l'acquit d'une dette envers l'honnêteté. Un Espagnol peut vouloir conquérir la beauté par des soins ; mais en exiger le premier, le plus doux emploi, comme une servile redevance, ah ! c'est la tyrannie d'un Vandale, et non le droit avoué d'un noble Castillan.
FIGARO, tenant Suzanne par la main : Permettez donc que cette jeune créature, de qui votre sagesse a préservé l'honneur, reçoive de votre main publiquement la toque virginale, ornée de plumes et de rubans blancs, symbole de la pureté de vos intentions ; adoptez-en la cérémonie pour tous les mariages, et qu'un quatrain chanté en choeur rappelle à jamais le souvenir...
LE COMTE, embarrassé : Si je ne savais pas qu'amoureux, poète et musicien sont trois titres d'indulgence pour toutes les folies...
FIGARO : Joignez-vous à moi, mes amis.
TOUS ENSEMBLE : Monseigneur ! Monseigneur !
SUZANNE, au Comte : Pourquoi fuir un éloge que vous méritez si bien ?
LE COMTE, à part: La perfide !
FIGARO: Regardez-la donc, Monseigneur ; jamais plus jolie fiancée ne montrera mieux la grandeur de votre sacrifice.
SUZANNE : Laisse là ma figure, et ne vantons que sa vertu.
LE COMTE, à part : C'est un jeu que tout ceci.
LA COMTESSE : Je me joins à eux, Monsieur le Comte et cette cérémonie me sera toujours chère, puisqu'elle doit son motif à l'amour charmant que vous aviez pour moi.
LE COMTE : Que j'ai toujours, Madame ; et c'est à ce titre que je me rends.
TOUS ENSEMBLE: Vivat
LE COMTE, à part : Je suis pris. (Haut.) Pour que la cérémonie eût un peu plus d'éclat, je voudrais seulement qu'on la remit à tantôt. (A part.) Faisons vite chercher Marceline.


Beaumarchais, Le Mariage de Figaro


Extrait du commentaire :

Les acteurs sont nombreux sur scène à assister à la déconfiture du comte, que Figaro provoque avec le soutien de la foule et de la gente féminine. Le comte, qui est sous le charme de Suzanne, est obligé de renoncer publiquement au droit antique de cuissage qu’il prétendait encore exercer sur elle. Toute l’habileté de Figaro (et de son créateur, Beaumarchais !) tient à sa capacité d’atteindre son but, préserver Suzanne des visées du comte, sans entrer en conflit direct avec lui. Il s’arrange avec les règles de bienséance et arrive à ses fins en finesse.

Dans la scène huit, le comte a avoué à Suzanne la tentation qu’elle représente pour lui, et lui réclame un rendez-vous galant. L’irruption de Basile, le maître de musique, force le Comte à  couper court, il se jette vite derrière un fauteuil, où se trouve déjà le jeune Chérubin, qu’il a banni peu avant pour l’avoir découvert avec la fille du jardinier, Fanchette. Lorsque le comte révèle à tous sa présence, c’est l’heure des explications. Le comte est furieux contre ses sujets et commence par s’opposer au mariage de Suzanne avec Figaro. Il apparaît clairement comme fourbe, libertin, abusant de son pouvoir aux yeux des spectateurs.

La scène 10 s’ouvre avec l’arrivée de Figaro, suivi de la comtesse, de Fanchette, et d’une foule de servants vêtus de blanc. Figaro va tenter le tout pour le tout pour pousser le comte à renoncer à ses vues sur son aimée...
Texte étudié :
CHÉRUBIN, SUZANNE, FIGARO, LA COMTESSE, LE COMTE, FANCHETTE, BAZILE ; beaucoup de valets, paysannes, paysans vêtus de blanc.

FIGARO, tenant une toque de femme, garnie de plumes blanches et de rubans blancs, parle à la Comtesse : Il n'y a que vous, Madame, qui puissiez nous obtenir cette faveur.
LA COMTESSE : Vous les voyez, Monsieur le Comte, ils me supposent un crédit que je n'ai point : mais comme leur demande n'est pas déraisonnable...
LE COMTE, embarrassé : Il faudrait qu'elle le fût beaucoup...
FIGARO, bas à Suzanne : Soutiens bien mes efforts.
SUZANNE, bas à Figaro : Qui ne mèneront à rien.
FIGARO, bas : Va toujours.
LE COMTE, à Figaro : Que voulez-vous ?
FIGARO : Monseigneur, vos vassaux, touchés de l'abolition d'un certain droit fâcheux, que votre amour pour Madame...
LE COMTE : Eh bien, ce droit n'existe plus, que veux-tu dire ?
FIGARO, malignement : Qu'il est bien temps que la vertu d'un si bon maître éclate ; elle m'est d'un tel avantage, aujourd'hui, que je désire être le premier à la célébrer à mes noces.
LE COMTE, plus embarrassé : Tu te moques, ami l'abolition d'un droit honteux n'est que l'acquit d'une dette envers l'honnêteté. Un Espagnol peut vouloir conquérir la beauté par des soins ; mais en exiger le premier, le plus doux emploi, comme une servile redevance, ah ! c'est la tyrannie d'un Vandale, et non le droit avoué d'un noble Castillan.
FIGARO, tenant Suzanne par la main : Permettez donc que cette jeune créature, de qui votre sagesse a préservé l'honneur, reçoive de votre main publiquement la toque virginale, ornée de plumes et de rubans blancs, symbole de la pureté de vos intentions ; adoptez-en la cérémonie pour tous les mariages, et qu'un quatrain chanté en choeur rappelle à jamais le souvenir...
LE COMTE, embarrassé : Si je ne savais pas qu'amoureux, poète et musicien sont trois titres d'indulgence pour toutes les folies...
FIGARO : Joignez-vous à moi, mes amis.
TOUS ENSEMBLE : Monseigneur ! Monseigneur !
SUZANNE, au Comte : Pourquoi fuir un éloge que vous méritez si bien ?
LE COMTE, à part: La perfide !
FIGARO: Regardez-la donc, Monseigneur ; jamais plus jolie fiancée ne montrera mieux la grandeur de votre sacrifice.
SUZANNE : Laisse là ma figure, et ne vantons que sa vertu.
LE COMTE, à part : C'est un jeu que tout ceci.
LA COMTESSE : Je me joins à eux, Monsieur le Comte et cette cérémonie me sera toujours chère, puisqu'elle doit son motif à l'amour charmant que vous aviez pour moi.
LE COMTE : Que j'ai toujours, Madame ; et c'est à ce titre que je me rends.
TOUS ENSEMBLE: Vivat
LE COMTE, à part : Je suis pris. (Haut.) Pour que la cérémonie eût un peu plus d'éclat, je voudrais seulement qu'on la remit à tantôt. (A part.) Faisons vite chercher Marceline.


Beaumarchais, Le Mariage de Figaro


Extrait du commentaire :

(...) Par conséquent, cette dernière scène d'exposition permet de découvrir Chérubin et le sort qui lui est d'emblée réservé. Aussi rythmée qu'une scène de Molière, aussi malicieuse et badine que délicate, elle donne une image très forte du charme de Beaumarchais. Maîtresse du jeu par la parole, Suzanne y brille tout en restant fidèle à son statut. Entre 2 moments dramatiques, cet extrait offre un pur instant de plaisir, en incarnant une atmosphère de folie mêlée à l'émotion. Cette scène annonce l'attrait des Noces de Mozart qui donnera à son Chérubin les airs les plus tendres.
S7

le mariage de figaro la foule journée /commentaire composé sur le mariage de figaro de beaumarchais/le mariage de figaro acte5 scene3


Commentaire composé sur le mariage de figaro Acte V scène 3

Commentaire de texte :
Acte V scène 3, du début à la ligne 118 (« … petits écrits »).
Groupement de texte : Le Mariage de Figaro

Introduction :

La situation de la scène dans la pièce :
Dans l’acte I : les femmes (La Comtesse et Suzanne) affirment « [avoir] besoin de Figaro ».
Dans l’acte V : elles mettent au point une machination dans son dos, en comptant sur son ignorance à son sujet, malheureusement il en a vent et fait marcher son imagination.

Propos sujets à dénonciation dans le monologue :
« O femmes, femmes » : certaine remise en cause de la prédominance masculine absolue.
Naissance ne doit plus être synonyme de mérite
Amertume de Figaro.
I La vie de Figaro, un échec ?
1 Une succession d’aventures
Ce monologue retrace la vie de Figaro de manière précise :
Ses origines inconnues semblent responsables de ses malheurs car volé par des brigands : or quand origines inconnues ou appartenance à une mauvaise famille, l’ascension sociale apparaît fortement compromise.
2 L’échec de Figaro dans sa quête de la jouissance personnelle.
Sur le plan social et professionnel, sa vie est parsemée d’embûches et de frustration :
-Etudes de chimie, pharmacie et chirurgie, or il n’est que vétérinaire (dévalorisant à l’époque)
-Censuré lorsqu’il écrit une pièce de théâtre (ironie, accumulation et hyperbole soulignent sa déception)
-Ecriture d’un texte traitant du produit net l’emmène droit à la prison , son honnêteté, paradoxalement, le pousse en prison. il y abandonne définitivement « espérance et liberté ».
-Son désir de carrière honnête semble définitivement repoussé.
La vie quotidienne de Figaro n’aura été que déceptions et rabaissement.
La vie personnelle de Figaro n’apparaît guère plus épanouie :
-La seule satisfaction réside en un mariage qui, lui aussi, lui semble fortement compromis en ce point de la pièce.
-Privé de la connaissance de ses parents : d’une éventuelle ascension sociale, mais en plus de l’amour de ses pairs.
3. L’autodérision de Figaro
L’ironie jalonne ce monologue : « il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits », « parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! » : ce ton convient parfaitement à aux torts qu’a causé la vie à Figaro en retour de ses nombreuses espérances.
L’autodérision mariée à son humour sont ses armes pour combattre ses échecs : « las d’attrister des bêtes malades […] me fusse-je mis une pierre au cou ! » Antithèse : études et efforts réalisés et métier obtenu, découragement
Une autodérision saine et bienfaitrice : A chaque échec, Figaro rebondit… pour s’enfoncer encore plus mais son ton d’autodérision lui permet de ne pas succomber à la dépression.
II. Une critique de la société
1. L’inégalité
Cette inégalité transparaît avant tout dans la naissance.
Comparaison du destin de Figaro et de celui du comte :
-Dévalorisation humoristique de la naissance : « vous qui vous êtes donnés la peine de naître », qui entraîne passivité, hiérarchie sociale préétablie et des positions fixées à l’avance.
-Le Comte est qualifié d’homme « assez ordinaire » alors que la considération générale fait que « parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un gd génie » : nouvelle antithèse
Figaro généralise sa situation. Le comte est généralisé aux « puissants ».
Figaro a dû déployer plus d’énergie qu’on a mis à gouverner toutes les Espagnes pendant cent ans pour survivre alors que le comte s’est juste donné la peine de naître. L’humour est l’arme de Figaro
Il est constamment mis en échec : il appartient à la foule obscure. Naître est la tâche du comte, exécuter celle de Figaro.
2.La censure
Une censure aveugle et dénuée de bon sens : Figaro, pour avoir écrit un traité d’économie (pensée traduction de véritables sentiments): va en prison. Figaro se moque des arguments avancés par la censure .
Se suicider serait préférable à faire du théâtre  « me fussé-je mis une pierre au cou » car on ne peut ainsi plaire à tout le monde et on s’expose ainsi aux mécontentements « ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant ».
Une censure qui entretient les inégalités.
A l’époque, tout ce qui concerne la pensée est l’objet du contrôle de l’état => régime de type totalitaire.
La pièce du « Mariage de Figaro », censurée durant quatre ans, représente, en plus du monologue de Figaro, le contrôle excessif de l’art et de la pensée, de la liberté d’expression.
Conclusion :
Un des plus longs monologue français
Confrontation de l’expérience d’une vie avec les réalités d’une société
L’autodérision et l’amertume conduisent Figaro à reprendre courage et à ne pas désespérer.

À noter : Le monologue dans la pièce marque le moment de crise…
Autre fiche de revision :
INTRO :
- quelques mots sur la vie de Beaumarchais et sur le contexte de rédaction
- pièce écrite au moment où il est célèbre
- la portée subversive de cette pièce effraie la societe. En effet, la pièce a été interdite 6 ans avant d’être jouée en 1784. Cette représentation remportera un succès immense .
- ce passage se situe dans l’acte V , à l’approche du dénouement
- la tension dramatique est ici à son comble .
- ce monologue, un des plus longs du théâtre français, ne fait pas avancer l’intrigue mais a une grande portée subversive et annonce ainsi la révolution de 1789
ANNONCE DES AXES

I) L'amertume de Figaro
 
1) Le trouble de Figaro
points de suspension
- phrases non verbales
- répétitions 2) Le désordre de Figaro
- mouvement anarchique ? « se leve » , « se rassied » - tons differents : polémique : (« Noblesse , fortune, un rang de places! »), comique (« métier de mari », « à moitié ») et ironique (« lancette de vétérinaire »…)
3) Figaro détruit moralement
- Les images de la victoire du comte et de l’infidélité de Suzanne lui sont insupportables. (« Non , non,vous ne l’aurez pas » + répétitions ? il refuse d’y croire)
- La rivalité amoureuse est en réalité une critique sociale
 
II) Critique de la societe
 
1) Critique du privilège de la naissance
- opposition entre le comte et lui : il le dévalorise (« Monsieur le conte » ? ton ironique)
- interpellations : personnalisation de la noblesse , questions adresses au conte. C’est en quelque sorte une forme de dialogue qui lui permet de se libérer de sa colère et qui donne un aspect vivant au monologue .
- critique son enfance : impression de manque (« fils de je ne sais pas qui ») mais il a une volonté de vaincre, ce qui est montré par les hyperboles ( « pour gouverner toutes les Espagnes ») , les juxtapositions (« j’apprends la chimie , la pharmacie ») , les verbes d’action (« j’apprends », « je me jette » , « je veux » ). La volonté est plus importante que le rang selon Figaro 2) Critique de la censure - Les termes « A l’instant », « je ne sais où» montrent le caractère arbitraire de la censure et dénoncent ainsi avec beaucoup de virulence
- la censure n’est pas fondée sur le texte
- la tyrannie exerce sur les esprits
- Beaumarchais est habile car, comme on peut le supposer, en critiquant le système religieux persan, il critique l’Eglise et le fanatisme religieux
 
CONCLUSION
- Il s’agit d’un moment clé de l’oeuvre où Beaumarchais fait entendre sa voix par l’intermédiaire de Figaro. Il critique la société injuste qui restreint les libertés
- C’est également un moment sans doute phare car il a une très grande portée politique car il confirme les idées des Lumières et annonce la Révolution de 1789.

jeudi 17 février 2011

tout sur les liaisons dangereuses........


Les Liaisons Dangereuses, Choderlos de Laclos 1789


Il paraît peu avant la Révolution et bien avant les oeuvres des lumières de Diderot, Voltaire, et après les romans libertins. Il indique la visée morale qui lui donne, c'est souvent un roman considéré comme sulfureux qui rencontre un grand succès à sa parution, dû à deux éléments : le libertinage et le roman à clef.
Contexte politique :
XVIIIème commence avec la régence de Philippe d'Orléans, de la légèreté après la vieillesse de Louis XVI. Dans l'aristocratie on retrouve les plaisirs de l'oisiveté. Naît le mépris pour les valeurs de la bourgeoisie que sont le travail et la morale. Une aristocratie décadente qsui ne vit que pour le plaisir. Après la Révolution, la paix s'installe et la France connaît une situation fleurissante (1760 industrialisation, développement du commerce). Le bourgeoisie réclame l'abolition des privilèges de la noblesse. Règne de Louuis XVI en 1774, il reste sourd aux inspirations de la bourgeoisie autant que des penseurs héritiers des Lumières. La situation économique est amoindrie du fait que la France participe à la guerre d'Indépendance des Etats-Unis. C'est un roman uniquement centré sur l'aristocratie. On ne voit que très peu la dépression et la dégradation économique. Cependant, on toruve un point sur la pauvreté dans les campagnes : Valmont donne de l'argent aux pauvres, une famille secourue, il se montre généraux avec cette famille à laquelle il donne sa bourse.
Vie intellectuelle :
La liberté d'expression est un enjeu majeur du XVIIIème. Les philosophes et les aristocrates ont leurs salons, les roturiers eux ont leurs cafés. On observe toujours un présence menaçante de la censure, qui est contournée par la publication anonyme oou sous un pseudonyme, ou parution à l'étranger (Hollande). On retrouve donc un engouement pour certaines formes : dialogues, essais, romans épistolaires...

Deux genres littéraires à l'origine des Liaisons :
_ Le roman épistolaire, à la mode depuis la fin du XVIème siècle, cf. Lettres Portugaises, de 1669, une correspondance supposée authentique entre une religieuse séduite et un gentilhomme. Il a connu un grand succès, livres de Guillerague, Les Lettres Persanes de 1721 de Montesquieu : une satire des institutions, 1748 Clarisse Harloe de  Richardson : le modèle de la vertueuse de Mme de Tourvel (Clarisse), modèle de l'amant sans scrupule (Valmont), 1761 La Nouvelle Eloïse de Rousseau : une correspondance réelle, 10 auteurs de lettres, des amants sincères. On trouve une abondace de La Nouvelle Eloïse dans les Liaisons Dnagereuses. En 1774, Le Comte de Valmont ou les égarements de la raison de Philippe Louis Gerard.
_ Le roman libertin ; il plaît, il es assez divers, une visée morale, quelques digressions philosophiques. 1735, Les Egarements du coeur et de l'esprit. Crébillon, éducation d'un jeune homme amoureux qui a certainement servis de modèle à Valmont. Des constantes : le libertin est un initiateur qui concretise l'art de maîtriser, le séducteur cherche le pouvoir, ceci se réalise dans la possession physique. Plusieurs conflits s'affrontent de front, et ls héros de ces romans sont souvent des hommes. Innovation de Laclos : il crée un modèle féminin de libertin (Mme de Merteuil qui mène le jeu). Sade, la philosophie dans le boudoir, Les 120 journées de Justine.


Catherine Deneuve sera Madame de Merteuil dans une nouvelle adaptation des Liaisons dangereuses . L’œuvre de Choderlos de Laclos a été adaptée pour la télévision par Eric-Emmanuel Schmidt . C’est Josée Dayan qui en assure la réalisation.
Lettre 153, du Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil : " […] le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent. "
Réponse de la Marquise de Merteuil, écrite au bas de la même lettre : " Hé bien ! la guerre. "
Il est délicat de résumer de façon linéaire un roman épistolaire, surtout lorsqu’il s’agit des Liaisons dangereuses, car on ne peut matérialiser l’intelligence de l’agencement des lettres ou mettre en valeur la diversité des styles (chaque épistolier a son tempérament, ses expressions, sa rhétorique, ses images).
Le roman s’ouvre sur une lettre de la jeune Cécile de Volanges, qui va sortir du couvent pour être mariée par sa mère, Mme de Volanges, à un certain Gercourt. Or Mme de Merteuil, parente de Mme de Volanges, apprenant ce projet de mariage, décide de se venger de Gercourt, ancien amant qui l’a quittée pour une autre femme. Pour cela, elle propose à son ami et ancien amant, le Vicomte de Valmont, de pervertir la jeune Cécile afin de ruiner le mariage de Gercourt. Mais Valmont refuse l’offre, car il est retenu chez sa vieille tante Mme de Rosemonde, par la présence de la Présidente de Tourvel, jeune femme dévote et vertueuse. Valmont veut faire de cette séduction un exploit, mais ce projet agace Mme de Merteuil : " Déjà vous voilà timide et esclave ; autant vaudrait être amoureux. " (lettre 10, de Merteuil à Valmont) La jeune Cécile, qui a quitté le couvent, s’éprend du Chevalier Danceny. Valmont, qui fait surveiller Mme de Tourvel, apprend que celle-ci a été prévenue contre lui par Mme de Volanges. Dès lors, il accepte de servir la vengeance de Mme de Merteuil, afin de se venger lui aussi, de Mme de Volanges. Cependant, Cécile demande à Danceny de ne plus lui écrire, et la Présidente fait la même demande à Valmont.
Dans la deuxième partie du roman, Valmont et Mme de Merteuil, sont tous deux à Paris mais ne parviennent pas à se voir. Ils élaborent néanmoins leur plan de bataille contre Gercourt et la petite Volanges. Mme de Merteuil convainc Mme de Volanges de se rendre avec sa fille chez Mme de Rosemonde. Valmont peut ainsi mener de front la séduction de Mme de Tourvel et la perversion de Cécile. Si les deux libertins, Merteuil et Valmont semblent unis par ce projet, ils sont pourtant toujours rivaux : Valmont se met en valeur en faisant le récit de ses derniers " exploits " et Mme de Merteuil répond par la cinglante lettre 81 ; dans cette lettre autobiographique, elle entend prouver à Valmont sa supériorité. " Et qu’avez-vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois ? " écrit-elle. Et de raconter sa vie, et le travail qu’elle a fait sur elle-même pour devenir une femme à la réputation inattaquable, qui, sous ce masque, intrigue, perd des réputations et manipule tout le monde. Afin de prouver cette supériorité, elle élabore un stratagème qui lui permet de perdre Prévan, un autre séducteur, dont Valmont est jaloux et qu’il lui avait présenté comme dangereux pour sa réputation. La Marquise de Merteuil triomphe.
La troisième partie du roman s’ouvre sur le silence de Valmont, qui tarde à entériner l’exploit de sa complice. Enfin, il écrit à Mme de Merteuil, et tente de faire valoir ses propres exploits, afin d’obtenir une nuit d’amour avec son ancienne maîtresse. Mais cette dernière les conteste : Valmont peut se prévaloir d’avoir le cœur de Mme de Tourvel, mais il ne peut toujours pas se vanter de l’avoir possédée. Quant à Cécile, c’était une proie bien facile, dont il est impossible de se glorifier. Valmont s’attriste de la mésentente qui est en train de s’installer entre Mme de Merteuil et lui. Il élabore un stratagème pour revoir Mme de Tourvel : il feint une conversion religieuse et entend lui rendre toutes ses lettres.
Le début de la quatrième et dernière partie présente la " chute " de la Présidente de Tourvel : " La voilà donc, vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu’elle pourrait me résister ! " écrit, triomphal, Valmont à Merteuil (lettre 125). Il exige donc sa nuit d’amour. Mais Merteuil la lui refuse, par jalousie : elle se juge insultée par l’attitude fort cavalière de Valmont, et l’accuse d’être amoureux de la Présidente. Elle exige le sacrifice de la Présidente, et fait parvenir à Valmont un " petit modèle épistolaire " (lettre 142) de lettre de rupture cinglante et destructrice. Valmont le recopie et l'envoie à la Présidente, sans penser aux conséquences d’un tel acte. Il songe à se réconcilier avec celle-ci. Mme de Merteuil triomphe, et le fait savoir à Valmont : " Oui, Vicomte, vous aimiez beaucoup Mme de Tourvel, et même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. " Effectivement, Mme de Tourvel sombre dans la folie, et Valmont ne peut réparer sa faute. Mme de Merteuil brave Valmont, en se refusant à lui, et en lui préférant Danceny. Valmont exige une réponse claire. " Hé bien ! la guerre. " répond Mme de Merteuil (au bas de la lettre 153, de Valmont à celle-ci). Valmont a l’initiative : il tente de rappeler à Danceny ses sentiments envers Cécile. Le stratagème semble fonctionner. Mais Mme de Merteuil réplique, en dévoilant la vérité à Danceny, concernant Valmont et Cécile : il provoque Valmont en duel, et le tue. Mais Valmont, avant de mourir, confie les lettres de Mme de Merteuil à Danceny. Danceny, avant de quitter Paris pour Malte, a fait connaître ces lettres, en particulier la lettre 81, autobiographique, et celle qui relate le stratagème de Mme de Merteuil pour perdre Prévan. La Présidente, en apprenant la mort de Valmont, meurt. Cécile, à la nouvelle de la mort de Valmont et du scandale qui compromet Mme de Merteuil, décide de prendre le voile. Sa mère, qui ne comprend rien, et pense même à l’unir à Danceny, accepte sa décision, sur les conseils discrets de Mme de Rosemonde. La Marquise de Merteuil est publiquement démasquée, et Prévan réhabilité. Atteinte de la petite vérole, Mme de Merteuil devient borgne et se trouve défigurée. Elle perd un procès qui était en cours et doit fuir en Hollande. Comme l’écrit Mme de Volanges dans la lettre qui clôt l’œuvre : " Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! "
Quelques pistes de réflexion sur Les Liaisons dangereuses :
danger des liaisons " et " liaison dangereuse " (lettre 22).
Le titre d’une œuvre est souvent pour beaucoup dans le succès, fût-il de scandale, de celle-ci. Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas : si le terme de " liaison " peut aujourd’hui désigner une relation amoureuse, à l’époque de Laclos, ce sens n’existe pas, et les liaisons du titre renvoient exclusivement à des relations sociales, entre personnes amenées à se côtoyer dans les réceptions, à se fréquenter au théâtre, ou à des tables de jeu, sans que l’amitié, ou l’amour, y aient forcément leur part. Un extrait de la lettre XXII, de la Présidente de Tourvel à son amie Mme de Volanges nous permet de comprendre correctement le sens du titre : " M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons. ", écrit la Présidente de Tourvel à propos de Valmont, c’est-à-dire qu’elle le considère comme la victime de fréquentations susceptibles de pervertir des êtres faibles, influençables. Mais Mme de Volanges ne croit pas à cette théorie, puisqu’elle fait un portrait très noir de Valmont à la Présidente de Tourvel et écrit ces mots : " Quand il ne serait, comme vous le dites, qu’un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-même une liaison dangereuse? " (lettre XXXII) Le discours de Mme de Volanges est clair : la simple fréquentation de Valmont peut pervertir la réputation la plus établie.
Mais ce que le roman va démontrer, c’est que la liaison peut être mortelle. Le réel danger n’est pas dans la perte de la réputation, si facile à faire ou à défaire, mais dans le mal d’amour, qui mène à la mort. La Présidente de Tourvel sera la victime du danger des liaisons, car prise dans l’engrenage de la sociabilité, elle deviendra la proie de Valmont, et se croyant délaissée, trouvera la mort, alors qu’elle pensait pouvoir le " convertir " (lettre VIII de la Présidente de Tourvel à Mme de Volanges, à propos de Valmont : " Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire […] "
Adieu, ma chère et digne amie. Je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes. " (Lettre 173, de Mme de Volanges à Mme de Rosemonde)
Les Liaisons dangereuses… Le pluriel a, dans l’œuvre, toute son importance. La Présidente de Tourvel meurt d’avoir aimé Valmont. Prévan est (temporairement) humilié par la Marquise de Merteuil, qui voulait simplement prouver sa supériorité au Vicomte en perdant un homme qui avait la réputation de perdre les femmes. Le Vicomte de Valmont meurt en duel, contre Danceny, parce que son ancienne alliée, la Marquise de Merteuil l’a trahi. La Marquise de Merteuil perd son prestige et sa réputation par les lettres envoyées à Valmont et remises par ce dernier au Chevalier Danceny, qui les fait circuler. Danceny perd ses illusions, son amour pour Cécile de Volanges, et s’exile. Cécile, trompée par Valmont et par Merteuil, mais aussi par Danceny, rentre au couvent.
Ces liaisons sont d’autant plus dangereuses qu’elles n’épargnent personne : Mme de Volanges, qui avait prévu un mariage prestigieux pour sa fille accepte de voir celle-ci prendre le voile, et découvre à quel point elle a été trompée par la Marquise de Merteuil ; la mort lui enlève une amie en la Présidente de Tourvel. Mme de Rosemonde elle-même, pourtant éloignée des vicissitudes de la vie mondaine, perd son neveu, Valmont, à qui elle vouait un amour tout maternel. De plus, destinataire des lettres qui achèvent le roman, seule à connaître l’ampleur du désastre, elle clôt sa dernière lettre à Mme de Volanges par ces mots : " laissons ["ces tristes événements"] dans l’oubli qui leur convient ; et sans chercher d’inutiles et d’affligeantes lumières, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors même qu’elle ne nous permet pas de les comprendre. " (lettre 172)
Si le dénouement était parfaitement moral, les personnages positifs triompheraient, au détriment des personnages négatifs. Or Mme de Tourvel, la plus positive des figures féminines de l’œuvre, meurt d’avoir trop aimé ; Cécile, qui est loin d’être entièrement positive, du fait de sa sottise, sort du couvent au début de l’œuvre pour le réintégrer à la fin. Danceny, qui n’a pas résisté au charme vénéneux de Mme de Merteuil part pour Malte, désillusionné. Seule Mme de Volanges et Mme de Rosemonde demeurent. Mais la première a contribué au désastre en se faisant l’écho des rumeurs qui font et défont les réputations, et en restant aveugle et sourde à ce qui se tramait autour d’elle. Quant à Mme de Rosemonde, si elle incarne un certain bon sens et paraît assez sympathique, son grand âge la tient toujours en dehors de la société. De plus, les personnages négatifs ne sont pas punis de façon exemplaire. L’amour de Valmont pour la Présidente, qui transparaît dans certaines lettres, sa mort en duel, qui s’apparente à un suicide d’amour, rachètent le personnage. Quant à Mme de Merteuil, on peut hésiter entre deux interprétations : la première voit en Mme de Merteuil la seule rescapée du désastre : bien que borgne et désargentée, elle peut encore survivre, et même recommencer à vivre, selon ses " principes " (lettre 81) libertins. Son physique peut devenir un atout pour feindre l’austérité, et son esprit est intact. La deuxième interprétation privilégie la défaite de Mme de Merteuil, puisque celle-ci a perdu des armes essentielles, la beauté et l’argent. Quoi qu’il en soit, Mme de Merteuil survit au désastre. Enfin, il convient de s’intéresser au personnage de Prévan : rival de Valmont, qui comme lui a perdu bien des femmes, humilié par Mme de Merteuil, il est, in extremis, réhabilité. Que faut-il penser de cette réhabilitation, et plus loin, de la société, qui fait et défait des réputations ? Laclos rejoint ici son maître, Rousseau, puisqu’il pense, comme lui, que le mal est enraciné non dans l’homme, mais dans la société. Cependant, Les Liaisons dangereuses ne sont pas un roman à thèse : en dernier recours, la fin, loin d’être univoque, laisse la place à l’interprétation personnelle du lecteur. Jean Fabre, lui, a tranché: " Les Liaisons dangereuses restent un roman prestigieux, dans la mesure même où Laclos n'a pas réussi à en faire un roman moral."
C’est le défaut des Romans ; l’Auteur se bat les flancs pour s’échauffer, et le Lecteur reste froid. " Lettre 33, de la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont.
1. Laclos héritier d’une tradition :
Historiquement, la vogue des romans par lettres s’explique par la lassitude du public à l’égard de la fiction romanesque. Le roman épistolaire fait entendre des " je ", des sentiments, des pensées, qui sont l’œuvre d’ épistoliers authentiques, non d’un auteur qui " se bat les flancs " pour imiter la réalité. Le genre du roman épistolaire se développe à la fin du XVIIème siècle, et s’impose avec Les Lettres persanes de Montesquieu, en 1721. Cette œuvre, qui mêle subtilement les réflexions philosophiques et politiques aux intrigues de sérail, exploite la polyphonie, c’est-à-dire la multiplication des points de vue, en multipliant le nombre des épistoliers. Seul le lecteur dispose de l’intégralité de la correspondance, et profite ainsi d’une vue surplombante sur l’ensemble de l’action. Rousseau, avec Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761) va lui aussi utiliser la polyphonie, mais va surtout faire de la lettre un instrument d’analyse psychologique, un témoignage de sentiments authentiques. Que l’on songe à la longue lettre-confession de Julie, l’héroïne, dans la troisième partie, lettre XVIII. Samuel Richardson a connu un succès immense avec Paméla ou la vertu récompensée (1740) et Clarisse Harlowe (1747-1748). Ces deux romans épistolaires ont servi de modèle à Laclos, tout comme ceux de Rousseau et de Montesquieu. Autrement dit, Laclos n’innove pas lorsqu’il choisit la forme épistolaire. Empruntant à Montesquieu l’utilisation subtile des décalages temporels et géographiques engendrés par la correspondance, à Rousseau la finesse des sentiments, le plaisir de la conversation entretenue par lettres interposées, à Richardson ses personnages de séducteurs et de jeunes femmes victimes de ceux-ci, il fait, avec Les Liaisons dangereuses une œuvre unique, dans laquelle aucun élément n’est gratuit.
En feignant de présenter une correspondance, " des lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres " (sous-titre des Liaisons), Laclos, devenu le rédacteur fictif, veut faire croire à la vérité de ces lettres, et à l’existence des épistoliers. Pour conforter cet effet de réel, il met en place, dans l’avertissement de l’éditeur et dans la préface du rédacteur une stratégie du doute, bien connue des auteurs de romans épistolaires : l’ " éditeur " écrit : " Nous croyons devoir prévenir le Public que, malgré le titre de cet Ouvrage et ce qu’en dit le Rédacteur dans sa Préface, nous ne garantissons pas l’authenticité de ce Recueil, et nous avons même de fortes raisons de penser que ce n’est qu’un Roman. " Le rédacteur, lui, met en avant l’authenticité de cette correspondance, et précise qu’il a " supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces Lettres. " C’est le même souci du respect de l’anonymat des épistoliers qui explique la suppression des noms de lieu (" aux Ursulines de … " ; " au Château de … ", par exemple) et l’incomplétude du millésime des lettres. Soyons clair : il s’agit bien d’un roman, entièrement composé, inventé par Laclos. Et cette stratégie, qui joue de l’effet de réel, est, au XVIIIème siècle, âge d’or du roman épistolaire, une convention tacite entre l’auteur et le lecteur, qui assure à ce dernier une grande liberté d’interprétation : il peut penser que cette correspondance est authentique, et chercher des clefs, pour savoir quelles personnes réelles se cachent derrière les personnages du roman ; ou bien il peut accepter l’idée que le roman a parfaitement suppléé la réalité, et qu’en tant que tel, il est captivant. Effectivement, le lecteur d’aujourd’hui, averti, sait que Les Liaisons sont une invention de Laclos. Cela ne l’empêche pas d’apprécier l’œuvre, au contraire : il ne peut qu’admirer la véracité des personnages imaginés par Laclos, et la qualité de leur correspondance.
2. Originalité des Liaisons dangereuses:
Chacun de nous ayant en main tout ce qu’il faut pour perdre l’autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement ". Lettre 153, du Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil.
Dans le roman de Laclos, chaque épistolier a son style, ce qui permet au lecteur de le mieux cerner : Cécile s’exprime de façon très gauche, elle commet souvent des fautes de syntaxe, ou utilise trop souvent l’adverbe " bien ". Mme de Merteuil, elle a du style, et son écriture est efficace : son " petit modèle épistolaire ", fourni à Valmont pour rompre avec la Présidente, fait mouche, aussi sûrement qu’une balle. Citons-en les dernières phrases : (lettre 141, de Merteuil à Valmont) " Adieu, mon Ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. " Merteuil, et Valmont dans une moindre mesure, manipulent la langue : ils savent feindre, par écrit, des sentiments qui leur sont étrangers. Que l’on se reporte à la lettre 36 de Valmont destinée à Mme de Tourvel : tout le vocabulaire du sentiment, du tourment amoureux est employé pour émouvoir le destinataire : " Dévoré par un amour sans espoir, j’implore votre pitié et ne trouve que votre haine : sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards. " Et le stratagème fonctionne, peut-être aussi parce que Valmont est plus sincère qu’il ne le voudrait lorsqu’il évoque son amour pour la Présidente. Mais il sait aussi jouer du registre dévot, lorsqu’il convainc le Père Anselme, confesseur de la Présidente, de son désir de se convertir, d’abjurer ses erreurs passées, et de s’engager dans " un sentier nouveau " (lettre 120). On peut également citer certaines lettres de la Présidente, qui rappellent le ton passionné des héroïnes raciniennes (lettre 143, à Mme de Rosemonde) : " Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte l’illusion de mon bonheur. La funeste vérité m’éclaire, et ne me laisse voir qu’une mort assurée et prochaine, dont la route m’est tracée entre la honte et le remords. "
Mais la variété des styles n’est pas tout. Avec Laclos, la lettre se pare de nouvelles fonctions : elle devient une arme, nous l’avons dit à propos de Merteuil et de Valmont, mais aussi une clef qui ouvre bien des portes, dans le cas de Valmont : c’est sous le prétexte de remettre à Cécile une lettre de son amoureux Danceny qu’il s’introduit dans sa chambre. C’est pour remettre ses lettres à la Présidente qu’il obtient une entrevue avec elle, et la séduit.
La lettre est également un outil d’analyse très efficace : Mme de Merteuil est une lectrice extrêmement fine, qui lit entre les lignes, et découvre très tôt dans les lettres de Valmont concernant la Présidente que la forfanterie de celui-ci ne cache que mal un sentiment amoureux puissant, que l’on se reporte à la lettre 10 par exemple. Elle se livre souvent à des explications de texte, comme à la fin de la lettre 33, dans laquelle elle commente une lettre de la Présidente à Valmont, et parfois elle donne des leçons de style ou de stratégie, car style et stratégie ne font qu’un dans Les Liaisons dangereuses. Que l’on se reporte à la lettre 105, destinée à Cécile de Volanges : " Voyez donc à soigner davantage votre style. Vous écrivez toujours comme un enfant. […] ", ou à celle destinée à Valmont : (lettre 33) " la véritable école [faute digne d’un écolier] est de vous être laissé aller à écrire. "
C’est enfin la lettre qui permet le secret des relations entre Merteuil et Valmont : ils ne se fréquentent jamais en société, et c’est par la lettre que leur union diabolique se maintient. Chacun peut perdre l’autre, et leur mutuelle discrétion est leur seul garant. C’est en manquant à son plus grand principe, " ne jamais écrire " (lettre 81) que Mme de Merteuil se perd : Valmont a bien compris qu’en confiant sa correspondance à Danceny, il perdrait très sûrement son ancienne alliée, devenue sa rivale. C’est dans cette perte de la maîtrise que Merteuil, peut-être, est disqualifiée : la plus habile des femmes, la plus méchante aussi, est punie par là où elle a péché. Chez Montesquieu, Richardson, Crébillon ou Rousseau, la lettre raconte l’événement ou les sentiments. Chez Laclos, elle est à la fois moyen d’action et action.
J’ai bien besoin d’avoir cette femme [la Présidente de Tourvel], pour me sauver du ridicule d’en être amoureux. ", lettre 4, du Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil.
Le libertinage est un courant de pensée qui naît en France au XVIIème siècle, s'épanouit durant tout le XVIIIe siècle, et se signale par une revendication de liberté prise par rapport aux mœurs et à la religion. La première moitié du XVIIème voit se développer le libertinage dit " érudit ", qui critique essentiellement le pouvoir de la religion. Les libertins de cette époque sont des savants, des érudits, des philosophes, tels que Gassendi, Naudé et Cyrano de Bergerac. Au siècle suivant, les philosophes des Lumières reprennent à leur compte l’héritage du libertinage érudit, tandis que se développe parallèlement un libertinage des mœurs. Valmont et Merteuil sont des libertins, aux mœurs légères, ils séduisent, perdent leurs victimes, avec adresse et sans remord. La séduction passe par la réflexion, la conquête se fait militaire ou guerrière. Mais la guerre des sexes détermine deux modes de combat : Valmont est un séducteur redoutable, il recherche les coups d’éclat pour les faire connaître, et chaque séduction nouvelle ajoute à son " mérite ". Selon les mots de Mme de Merteuil : " Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. " (lettre 81) Mme de Merteuil, au contraire, parce que femme, doit manœuvrer dans l’ombre. Elle déclare la guerre aux hommes dans la lettre 81 : " née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’a[i] su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi. " C’est grâce à un immense travail sur elle-même qu’elle devient une femme de tête, réussissant à conserver son indépendance, ses amants et son inattaquable réputation. En choisissant de mettre au centre des Liaisons dangereuses deux libertins, Laclos inscrit bien son œuvre dans la tradition du libertinage de mœurs, représenté par Richardson, Crébillon fils, mais aussi par le Diderot des Bijoux indiscrets.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, si certains passages des Liaisons dangereuses ont valu son succès de scandale à l’œuvre, pourtant, Laclos n’est pas Sade, et Les Liaisons dangereuses ne se complaisent jamais dans la débauche. Ce qui importe toujours, dans l’œuvre de Laclos, ce n’est pas l’acte, c’est son récit, et ses conséquences. Lorsque Valmont viole Cécile, et en fait le récit à Mme de Merteuil, et au lecteur indiscret, il ne sombre pas dans les détails crapuleux ou le vocabulaire spécialisé. Significativement, il songe à composer un " catéchisme de débauche " pour " [s]on écolière " (lettre 110), mais le lecteur ne feuillettera jamais cet ouvrage. Les scènes qui pourraient être sensuelles (le viol de la naïve Cécile, celui de la prude Présidente, la rédaction d’une lettre d’amour à la Présidente sur une femme transformée en pupitre (voir le bas de la lettre 47), les soirées de " petite maison " de la Marquise de Merteuil, (voir lettre 10, de Merteuil à Valmont), le stratagème de Valmont pour obtenir le contenu des poches de la Présidente, raconté dans la lettre 44, ou l’éducation sexuelle de la Marquise de Merteuil, relatée dans la lettre 81) sont le plus souvent narrées à l’aide de sous-entendus, de litotes ou d’euphémismes. On peut également relever des jeux de mots grivois dans la correspondance des deux roués, (le bois du Comte de B***, fin de la lettre 59 et de la lettre 63, par exemple) mais ils sont davantage des politesses de conversation, destinées à agrémenter la lettre, que des motifs licencieux livrés au lecteur égrillard. De plus, ils relèvent le plus souvent de la double entente, et confirment ainsi l’habileté stylistique des roués, et donc leur habileté à manipuler les autres. Le libertinage est plus intellectuel que sensuel dans Les Liaisons dangereuses, et significativement, le terme n’apparaît qu’une fois dans l’œuvre, sous la plume de la Marquise de Merteuil, et dans le tour " libertinage d’esprit ". Cela n’a rien d’anodin, car le roman de Laclos est aussi un roman d’analyse. Les Lumières ont passé par là, et la séduction profite des progrès de la science, des connaissances, de l’étude de l’homme sous tous ses aspects. Que l’on se reporte à la lettre 81 de la Marquise de Merteuil : elle a lu des romanciers, des philosophes, des moralistes, afin d’étudier la nature humaine, pour la mieux manipuler. Selon l’heureuse expression de Laurent Versini, " la séduction est devenue déduction. " Le libertinage des Liaisons témoigne des réalités du temps : l’aristocratie française, faute de combattre pour le royaume puisque la France est en paix, a porté la guerre dans les salons, et les belligérants sont sans pitié, car ils possèdent une arme très puissante, la connaissance de la nature humaine.
En guise de conclusion, voici, choisies entre mille, quelques questions qui pourront susciter la curiosité du lecteur, et l’inciter à se plonger, ou se replonger, dans la lecture des Liaisons dangereuses :
  • Peut-on considérer que c’est Mme de Merteuil qui triomphe, en obtenant la mort de Valmont, ou que c’est lui qui triomphe, puisqu’il lui fait perdre sa si solide réputation, et meurt noblement en duel ?
  • Valmont était-il amoureux de Mme de Merteuil, et jaloux des amants de celle-ci, malgré son image de libertin jouisseur, blasé et froid ?
  • Valmont aurait-il pu se convertir à l’amour dans les bras de la Présidente, et abjurer le libertinage ?
  • Pourquoi Valmont recopie-t-il l’atroce lettre de rupture fournie par Mme de Merteuil et l’envoie-t-il à Mme de Tourvel, alors qu’il est suffisamment subtil pour envisager les suites fatales de cette lettre ?
  • Pourquoi Laclos fait-il de Mme de Merteuil un personnage aussi machiavélique, tout en lui réservant un sort ambigu ?
  • Mme de Merteuil et Valmont ont-ils jamais été alliés ? Ne sont-ils pas plutôt d’éternels rivaux, qui rêvent de se mettre à mort, dès le début ?
  • Et pour finir, qui est le véritable héros du roman ? Est-ce Mme de Merteuil, parce qu’elle est la plus machiavélique, est-ce Mme de Tourvel, parce qu’elle est la plus pure, ou est-ce Valmont, parce qu’il est le personnage le plus ambigu ?